Musil présente la particularité d'être reconnu comme un grand auteur de la littérature autrichienne par les spécialistes et d'avoir connu un large succès avec L’Homme sans qualités et surtout Les désarrois de l’élève Toerless, son premier roman, dont Volker Schlöndorff a tiré un film récompensé au Festival de Cannes en 1966. L’Homme sans qualités est considéré comme une œuvre pionnière du nouveau roman, à l’égal de l’Ulysse de Joyce. Traduit en français par un traducteur éminent, Philippe Jacottet, Musil eut son heure de gloire dans les années 1970 à 1990. Évoluant délibérément sur la frontière entre les sens et la rationalité, l’écriture et le monde romanesque de Musil ont fait de lui un auteur dont le monde des lettres francophone s’est emparé avec prédilection. Du côté allemand et autrichien l’effet de mode n’a jamais été aussi marqué, après la redécouverte de Musil suscitée par la première édition de L’Homme sans qualités par Adolf Frisé dans les années 1950 ; mais l’intérêt des spécialistes pour Musil n’a jamais faibli non plus. Musil, dans la période du regain d’intérêt pour la « modernité viennoise » et le débat « modernité/post-modernité », a retenu en France l’attention d’auteurs importants : outre le travail éditorial de Jean-Pierre Cometti sur le roman inachevé L’Homme sans qualités, il faut mentionner le philosophe Jacques Bouveresse (Robert Musil. L’homme probable, le hasard, la moyenne et l’escargot de l'histoire, Éditions de l’Eclat, 1993), le germaniste Jacques Le Rider ou le comparatiste Jacques Dugast (Musil. L’Homme sans qualités, PUF, 1992). L’ouvrage de Walter Moser, par sa profonde connaissance des deux mondes scientifiques, jette non seulement un pont mais il approfondit un aspect que l’approche d’histoire culturelle évoquait toujours sans le prendre à bras le corps : l’écriture de Musil. Sur ce terrain, on en restait en gros au jugement de Thomas Mann, selon lequel Musil était le Proust (ou le Joyce) autrichien. Mais on n’apprenait pas grand-chose de plus sur cette écriture. Walter Moser comble cette lacune.