Il est peu de sujets qui puissent donner lieu à de plus curieuses recherches, que les combats particuliers qui ont eu lieu de tout temps chez les Francs.
Ce culte de l’épée qui a fait verser des flots du sang le plus pur, puisqu’il était celui des plus braves, tire son origine des lois saliques, des coutumes chevaleresques et des institutions féodales.
Appuyé sur ces trois bases, il était encore consacré par la religion, facilité par l’habitude qu’avaient les Francs d’être toujours armés ; et si depuis il a résisté avec tant de force à un changement absolu dans la législation, c’est par la puissance invincible du catéchisme de tous les peuples militaires, qui note d’infamie quiconque peut seulement être soupçonné de lâcheté, et qui enseigne que l’honneur est préférable à la vie.
Sous le rapport de ces combats qui n’avaient point pour objet la défense de la patrie, nous sommes déjà bien loin de nos aïeux.
Les rois n’envoient plus de cartels aux rois, leurs ennemis, comme firent jadis Louis-le-Gros, Charles de Sicile, Édouard iii et François ier.
Nous ne connaissons plus ces combats qui portaient le beau nom de jugement de Dieu, et où on voyait figurer des grands seigneurs, des chevaliers, des évêques, des élèves, et même des femmes.
Ils ne sont plus autorisés par les lois, ordonnés par les parlements, honorés par la présence des rois, des dames, des courtisans et du peuple.
On ne se bat plus six contre six, dix contre dix, vingt contre vingt. On ne se charge plus en plein jour, dans les places, dans les rues, et jusque dans les palais des rois.
Enfin la religion n’emploie plus ses rites les plus augustes, à préparer les combattans, à bénir et distribuer les armes.
Il ne nous reste plus que le duel simple, reste dégénéré de ces usages antiques, encore les lois ont-elles plusieurs fois tenté de le proscrire.
Nos aïeux connaissaient trois espèces de combats singuliers, d’après les diverses raisons qui pouvaient y donner lieu.
Le duel en matière civile, le duel par suite d’accusation capitale, et le duel ou défi chevaleresque.
Qui terram suam occupatam ab altero dixerit, adhibitis idonæis testibus probat eam suam fuisse, si occupator contradixerit, campo dijudicetur. Leg. Saxon, tit. 16.
Si calumniator, aut ille cui calumnia irrogata est, se solum ad sacramenti misterium perficiendum prætulerit, et dixerit : solus jurare volo, tu si audes nega sacramentum meum, et armis mecum contende ; faciant etiam illud, si hoc eis ita placuerit, juret unus, et alius neget et in campum exeant. Leg. Frisionum, tit. ii, lib. 3.
Si dicat vir probrosum verbum ; non es vir viri compar, aut virili pectore : ego sum vir, inquit alter, qualis tu, hi in trivio conveniunto… si jam utroque comparent justis instructi armis, et cadat provocatus, dimidio mulctæ prætio cædes expietur. Si vero provocans cadit imputet temeritati ; capitalis ei linguæ suæ petulantia, in campo jaceat inexpiatus. Sciernhoof, de Jure Sueonum et Gothorum vetusto, cap. 6.
Les règles introduites par ces lois avaient passé dans toute l’Europe civilisée ; et tel était l’état du droit civil en France, qu’un chevalier offensé aurait vainement renoncé au défi personnel ; car quand il se serait adressé aux tribunaux qui rendaient la justice dans ces temps reculés, il y aurait encore retrouvé le combat judiciaire, que l’offenseur n’eût pas manqué de faire ordonner ; ainsi, en dernière analyse, la propriété, l’innocence, l’honneur, tout se jugeait par la force des armes.
La législation changea vers le commencement du seizième siècle, et les religieux de l’abbaye de Saint-Denis sont probablement les derniers qui ont obtenu l’ordonnance du combat judiciaire. Alors il se fit une révolution totale dans les idées, et ce qui était auparavant un privilége, un honneur et un devoir, devint tout à coup un crime que les lois menacèrent de toute leur sévérité.
Mais ces lois répétées avec une rigueur progressive, pendant quatre règnes, ont constamment été neutralisées par un préjugé national, et dont les juges eux-mêmes n’étaient pas tout-à-fait exempts ; ils n’ont jamais osé franchement le braver, et c’est une occupation digne de l’homme d’état, que de suivre dans son cours cette lutte de la raison écrite contre l’opinion publique.